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Unique en France, l'alpage-école de Serraval forme au pastoralisme en montagne à l’ère du changement climatique

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Chaque été depuis 2020, des dizaines d’apprentis agriculteurs montent à 1 700 m, sur la montagne de Sulens (Haute-Savoie) pour se former à l’alpagisme. Pour s’adapter au réchauffement, plus marqué en altitude, l’alpage haut-savoyard mène également des expérimentations pour une gestion plus durable des ressources fourragères et aquifères.

De notre envoyé spécial à Serraval,

Il est 19h20 ce dimanche 11 août, le 4x4 déboule sur le parking du col du Plan Bois, mouillé par la bruine et entouré une épaisse brume. Au volant, la fromagère Pauline Burnier-Framboret. Elle vient chercher Élise, Emma, Corentin, et Noura, 16 et 18 ans - deux camarades manquent à l’appel. Brève embrassade des parents et c’est parti : le quatuor est emmené trois kilomètres en amont d’une route de caillasse, à 1 650 m d’altitude, sur la montagne de Sulens.

C’est là-haut que ces élèves de première et terminale du lycée agricole voisin de Contamine-sur-Arve, en Haute-Savoie, dans les Alpes françaises, passeront la semaine pour apprendre les rudiments de l’alpagisme : monter le troupeau en montagne, le temps de constituer des réserves de foin en bas pour l'hiver. La bergère, Louisa Daude, les y attend. Avec Morgane Duffy, ingénieure-cheffe chargée de projet, le trio féminin, 24 ans chacune, gère en très grande autonomie – de l’encadrement des apprenants à l’intendance en passant par la boutique et l’entretien des terrains – l’alpage-école de Serraval, qui achève sa cinquième estive.

Doté de 64 hectares, dont 34 de pâturage (soit l'équivalent de 24 terrains de football), il accueille de mai à octobre un large public allant de classes maternelles et primaires aux adultes en reconversion professionnelle, incluant tout le panel des acteurs de la montagne : écologues, guides, jardiniers paysagistes, étudiants en protection de la nature. Il y a même des élèves italiens dans le cadre d'un échange trans'alpin. Toutefois, le gros des troupes est constitué des lycéens de Contamine – le stage est obligatoire – et d’étudiants en BTS de l’École nationale des industries du lait et de la viande (Énilv). Au total, près de 500 personnes y sont passées en 2023. « L’intérêt de l’alpage-école, c’est de croiser ces formations pour que, plus tard, les futurs professionnels soient habitués à dialoguer entre eux et comprennent les enjeux de chacun », résume Morgane Duffy.

Les jeunes grimpent à l’étage prendre leurs quartiers dans les chambrées portant 21 lits de ce chalet refait à neuf en 2017, après trois ans de travaux à hauteur d'un million d'euros aux frais de la région. Le bâtiment d’origine a été racheté par la Communauté de communes des Vallées de Thônes et proposé au lycée qui cherchait un nouvel alpage. Un « chantier hors-norme », se souvient avec une pointe d’émotion Michel Varlez, membre de l’équipe d’ingénieurs de la maîtrise d’œuvre, « il n’y avait rien de standard donc c’était très intéressant ».

Éco-conçu, la structure se compose pour l’essentiel d’épicéa, local, et son isolation thermique est en matériaux naturels. Son toit soutient panneaux solaires et son grenier loge trois tonnes de batteries de stockage, qui sont aussi raccordées au réseau, pour lisser et sécuriser l’alimentation électrique.

De la traite en entravée au fromage « de A à Z »

Polenta et côtes de porc avalées, c’est l’heure du « speech » de Pauline sur le fonctionnement des lieux : ici, « tout le monde file la main », autrement dit participe aux repas, à la vaisselle, au nettoyage. Avec un accent particulier mis sur un usage modéré de l’eau : « les douches… 4-5 minutes s’il vous plaît ! Pour les toilettes, on n’utilise pas celles du haut ! » Un cabanon a été construit derrière le bâtiment. De quoi faire réfléchir en cas de besoins nocturnes. Et quand Louisa annonce que cette semaine, il faudra « brasser » les toilettes sèches, on entend un « oh non… », poussé par Noura, mi-soupire, mi-sourire.

Après quelques heures de nuit, vers 4h30, on entend les premiers réveils et l’escalier en bois qui grince sous les pas qui descendent à la cuisine. Corentin est le premier debout. Comme 90 % des élèves de l’enseignement agricole, il est « hors cadre familial » : aucun de ses parents n’est agriculteur. « J’ai toujours voulu faire ça », dit-il en haussant les épaules. Depuis ses 15 ans, il passe ses étés à travailler dans la ferme de ses voisins « pour se faire une expérience ». Il est déjà très informé sur l’environnement rural.

Après un premier en-cas, Emma et Elise se glissent dans des bottes vertes, direction l’écurie, bientôt remplie de 38 vaches de race abondance, dont le lait donnera le fromage éponyme. Nettoyage du trayon, fixation des griffes sur le pis, traite… les deux ados se familiarisent avec la méthode de l’entravée : restreint en place, l’alpage-école ne dispose pas de salle de traite c’est donc le poste de traite qui vient aux bêtes, non l’inverse. Une méthode artisanale. « La difficulté, c’est de les attacher, explique Elise. Elles ne se mettent pas à leur place. C’est la première fois que je fais ça, c’est d’autant plus compliqué. Mais elles sont gentilles vu qu’elles nous connaissent, c’est les mêmes qui viennent au lycée durant l’année. »

De l’autre côté de la cloison, Corentin et Noura turbinent à la fabrication des fromages. Il y en a deux ce matin puisque le lait de la veille, jour de repos, n’a pas encore été transformé. Ils seront bientôt capables d’envoyer à l’affinage trois emblèmes de la Haute-Savoie : abondance, tomme et, depuis cette année, reblochon, dont la ville voisine Thônes est la capitale.

Le savoir est technique et le faire méticuleux: chauffage du lait à 33°C dans les cuves, ajout des ferments pour acidifier, ajout de la presure, relevé du taux d’acidité, décaillage, moulage à la toile, retournement : « vous remettez le fromage dans ta toile, vous l’accompagnez tout le tour du cercle et vous n’enfoncez pas la toile avant de mettre le fromage, sinon cela va faire des plis, cela se retrouvera sur le fromage, c’est moche. Devant vous, vous gardez 10 cm de toile pour la rabattre. On sert un coup le cercle, 1 cm à peu près, et vous allez mettre sous presse. Vous réglez sur 1,8 bar pendant 1h puis vous montez la pression à 2,4 bar… », dirige fermement Pauline, elle-même pressée de partir livrer ses meules d’abondances à un affineur de la vallée et de les laisser gérer la suite comme des pros.

La fromagère, également monitrice diplômée, est une passionnée de la fabrication fermière : « On fait des études où on étudie le lait, comment il peut réagir, etc. Mais en industrie, on le standardise tellement qu’on n’a pas l’occasion d’appliquer toutes ces bases. En fermier, le lait n’est pas le même tous les jours. Réussir à le ressentir, c’est là qu’on reconnait notre vrai métier. À l’alpage, on gère tout de A à Z, de la cuve à l’affinage [pour la tomme, NDLR], même la maintenance matérielle. C’est un job très complet et très plaisant. »

« Je pensais que ce serait plus physique », s’étonne Corentin, qui n’est pas emballé par ce volet du métier, préférant la vie à l’air, le contact avec les animaux et le matériel agricole. « C’est spécial aussi… Il y a l’humidité, la chaleur », le défend Noura, qui elle apprécie d’être au chaud. Fluette, elle retourne non sans peine les meules d’abondance encore gorgées, qui pèsent en moyenne 10 kg en moyenne à sec. Elle nourrit un projet de polyvalence agricole : un peu d’élevage, de transformation, de maraîchage, à l’image du modèle des micro-fermes.

La traite est terminée. Emma et Élise lavent l’écurie – plus modeste que celles d’Augias –, pendant que Louisa raccompagne les « filles » au pré. Un berger, iconiquement représenté avec un béret, un bâton et un chien à la tête d’un troupeau de moutons ou de chèvres, s’occupe de garder le bétail pendant les mois d’estive, souvent en montagne. Fréquemment pourtant, ce sont des femmes – et ce n’est pas l’époque qui veut ça, Jeanne d’Arc en était une.

« Il faut vraiment être passionné pour monter en alpage et moi, j’adore, confie la jeune femme qui achève sa troisième et dernière saison. Mon père est agriculteur mais n’avait pas d’alpage, je l’ai découvert en stage. Donc je trouve cela super que les jeunes aient aussi l’occasion de le découvrir. Vivre et travailler dans ce cadre plutôt qu’en plaine, cela n’a rien à voir, parce que cela nécessite des sacrifices et toute une organisation en plus : au printemps, faut faire des allers-retours pour aller chercher les enfants à l’école, faire les courses, descendre le lait, acheter les sacs de concentrés [ration alimentaire pour les vaches]. Et certains n’ont même pas d’accès 4x4 ! L’alpage, ce n’est pas que la traite, c’est l’entretenir, faire du bois, agrandir les parcs, vivre vraiment au rythme de son troupeau, c’est aussi différent au niveau de la pousse de l’herbe, du rendement… »

L’alpagisme, c’est d’abord se mouler dans les contraintes des lieux, vrais maîtres des horloges.

À lire aussiPortrait sonore: Noémie, 32 ans, la vie chevrière au corps

La sécheresse prend aussi de l’altitude

L’emmontagnée - ou transhumance - consiste à monter les ruminants en alpage pour leur donner un végétal plus frais et plus riche et, pendant ce temps, constituer en plaine des réserves de fourrages pour l’hiver. « C’est un alpage compliqué ici », souffle Louisa Daude, en grimpant à grandes enjambées la pente franchement raide de graminées grasses et boueuses. « Même pour les bêtes : elles n’ont pas de replat dans les parcs et elles s’épuisent. » Au relief s’ajoutent « les coups de chaud et les coups de froids », des écarts de température qui « leur grillent énormément d’énergie » pour adapter leurs corps. « Moins d’énergie, c’est moins de lait, on le voit bien… »

En France, la sécheresse de l’été 2022 a laissé des traces dans les mémoires rurales. Elle n’a pas épargné pas les alpages, les bêtes et l’enherbement : à cette époque, les pentes étaient jaune-marron, et le cheptel avait produit 150 litres de lait en moins, soit presque deux abondances. « Avec le changement climatique, les années ne se ressemblent jamais, les phénomènes sont plus marqués, a observé Morgane Duffy. L’année dernière, cela allait en début de saison et rapidement cela s’est dégradé, il a fait trop chaud et trop sec, l’herbe a grillé. Cette année, ça a été l’inverse : trop humide avec peu de soleil en début de saison, donc une herbe qui a du mal à pousser. Cela impacte nos montées et descentes : on veut que la période en montagne soit la plus grande possible pour faire un maximum de foin en bas. » En 2022, le 23 août signait déjà la fin de l’estive, au lieu de courant septembre habituellement.

En parallèle de son volet pédagogique, l’alpage a donc entrepris plusieurs expérimentations pour adapter les pratiques pastorales à l’évolution du climat. « La deuxième partie de la philosophie de ce lieu, explique Emilie Fontaine, la directrice du lycée agricole, c’est d’arriver à produire des données scientifiques qui vont justifier ou peut-être infirmer des pratiques ancestrales. On a toujours monté les vaches en alpages. Cette tradition s’est un peu perdue à une période plus productiviste, quand les exploitations n’avaient plus ce besoin de monter. Avec la pression foncière dans notre département conjugué au réchauffement climatique, l’alpage revient en force. Donc on fait comme les anciens, mais on se doit de préparer l’avenir. »

Rationaliser l’eau et le pâturage

Première expérience : une gestion au cordeau de la ressource en eau. L’alpage de Sulens est situé en tête de bassin versant (d’où ruisselle l’eau de pluie et de fonte), assez sec, sans rivière, sans lac, et la seule source disponible est partagée avec deux autres exploitations. Une vache boit en moyenne 100 litres d’eau par jour, quantité à multiplier par 40 vaches et par le nombre de jours d’estive. Le nettoyage de la salle de fabrication est l’autre poste très gourmand en eau, difficilement compressible. « Aujourd’hui, l’eau n’est pas un problème critique pour nous. Cette année, le réservoir est plein. Mais l’année dernière, on avait peut-être deux ou trois semaines de marge. Or, il faut par exemple compter une semaine pour préparer la descente des bêtes », explique Émilie Fontaine, la directrice du lycée agricole. Deux réservoirs d’eau, l’un de 200 m3 pour les animaux, l’autre de 133 m3 pour l’usage domestique, ont été installés lors du chantier, « un stockage indispensable en cas de tarissement de la source ».

Par ailleurs, chaque parcelle a été équipée d’un abreuvoir à flotteur permettant de réguler au mieux le débit de l’eau. En plus, des compteurs devraient être installés un peu partout. « L’objectif est de quantifier la ressource disponible et la consommation d’eau pour le quotidien, la transformation fromagère et l’abreuvement des vaches », explique Morgane Duffy. « Et comme tout est lié, on fait également une expérimentation de pâturage sous-bois : il s’agit de comparer la consommation d’eau lorsque les vaches sont dans un pré ouvert, sans ombre, et lorsqu’elles sont sous les arbres. »

Courant dans le sud de la France habitué aux températures caniculaires, mais plutôt pour les élevages ovins et caprins, le pâturage en sous-bois est l’expérimentation-clé lancée à l’alpage cette année, avec l’aide d’experts locaux. Un petit périmètre de bois a été éclairci pour permettre à la lumière de pénétrer et favoriser l’émergence d’un couvert herbacé. En ruminant, à l’ombre, cette nouvelle ressource fourragère plus fraîche (mais moins dense), mais aussi éventuellement des petites plantes ligneuses, c’est un nouveau champ des possibles culinaires qui s’ouvre dans l’assiette des vaches. Elles seront a priori moins assoiffées et produiront plus de lait. Encore faut-il qu’elles acceptent cette nouvelle pitance. Il faudra plusieurs années pour mesurer l’intérêt de cette forme de pâturage, tant sur les économies en eau que sur la qualité et la quantité de lait.

Troisième pratique d’adaptation, le recours au pâturage tournant permet de rationaliser l’herbe broutée. Louisa agrandit progressivement les parcs de pâture pour éviter le gâchis : « Comme elles n’ont qu’un espace limité, elles sont obligées de tout manger et pas uniquement ce qu’elles aiment. » Cela évite aux ligneux et arbustes, moins appréciés, de pousser ici et là. « On fait attention à ne pas tomber dans du surpâturage avec trop de vaches sur un petit espace donné. C’est un équilibre entre bien mangé mais pas trop », précise Morgane Duffy. « L’alpagisme est une des solutions au réchauffement climatique, assure Emilie Fontaine, mais lui-même doit s’adapter plus vite. » Le réchauffement est en effet deux fois plus rapide en plus en montagne qu’en plaine.

Il est 17h sur le sentier des vaches. Élise les ramène au bercail pour la seconde traite. Sont-elles toujours aussi « gentilles » ? « La traite, c’est vraiment différent. Faut faire plus attention à l’animal, les coups de pieds partent vite. » Et pour cause, elle en a reçu un à la tête. Pas rancunière, elle a oublié le nom de l’agresseuse. Ah, l’amour vache !

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Chaque été depuis 2020, des dizaines d’apprentis agriculteurs montent à 1 700 m, sur la montagne de Sulens (Haute-Savoie) pour se former à l’alpagisme. Pour s’adapter au réchauffement, plus marqué en altitude, l’alpage haut-savoyard mène également des expérimentations pour une gestion plus durable des ressources fourragères et aquifères.

De notre envoyé spécial à Serraval,

Il est 19h20 ce dimanche 11 août, le 4x4 déboule sur le parking du col du Plan Bois, mouillé par la bruine et entouré une épaisse brume. Au volant, la fromagère Pauline Burnier-Framboret. Elle vient chercher Élise, Emma, Corentin, et Noura, 16 et 18 ans - deux camarades manquent à l’appel. Brève embrassade des parents et c’est parti : le quatuor est emmené trois kilomètres en amont d’une route de caillasse, à 1 650 m d’altitude, sur la montagne de Sulens.

C’est là-haut que ces élèves de première et terminale du lycée agricole voisin de Contamine-sur-Arve, en Haute-Savoie, dans les Alpes françaises, passeront la semaine pour apprendre les rudiments de l’alpagisme : monter le troupeau en montagne, le temps de constituer des réserves de foin en bas pour l'hiver. La bergère, Louisa Daude, les y attend. Avec Morgane Duffy, ingénieure-cheffe chargée de projet, le trio féminin, 24 ans chacune, gère en très grande autonomie – de l’encadrement des apprenants à l’intendance en passant par la boutique et l’entretien des terrains – l’alpage-école de Serraval, qui achève sa cinquième estive.

Doté de 64 hectares, dont 34 de pâturage (soit l'équivalent de 24 terrains de football), il accueille de mai à octobre un large public allant de classes maternelles et primaires aux adultes en reconversion professionnelle, incluant tout le panel des acteurs de la montagne : écologues, guides, jardiniers paysagistes, étudiants en protection de la nature. Il y a même des élèves italiens dans le cadre d'un échange trans'alpin. Toutefois, le gros des troupes est constitué des lycéens de Contamine – le stage est obligatoire – et d’étudiants en BTS de l’École nationale des industries du lait et de la viande (Énilv). Au total, près de 500 personnes y sont passées en 2023. « L’intérêt de l’alpage-école, c’est de croiser ces formations pour que, plus tard, les futurs professionnels soient habitués à dialoguer entre eux et comprennent les enjeux de chacun », résume Morgane Duffy.

Les jeunes grimpent à l’étage prendre leurs quartiers dans les chambrées portant 21 lits de ce chalet refait à neuf en 2017, après trois ans de travaux à hauteur d'un million d'euros aux frais de la région. Le bâtiment d’origine a été racheté par la Communauté de communes des Vallées de Thônes et proposé au lycée qui cherchait un nouvel alpage. Un « chantier hors-norme », se souvient avec une pointe d’émotion Michel Varlez, membre de l’équipe d’ingénieurs de la maîtrise d’œuvre, « il n’y avait rien de standard donc c’était très intéressant ».

Éco-conçu, la structure se compose pour l’essentiel d’épicéa, local, et son isolation thermique est en matériaux naturels. Son toit soutient panneaux solaires et son grenier loge trois tonnes de batteries de stockage, qui sont aussi raccordées au réseau, pour lisser et sécuriser l’alimentation électrique.

De la traite en entravée au fromage « de A à Z »

Polenta et côtes de porc avalées, c’est l’heure du « speech » de Pauline sur le fonctionnement des lieux : ici, « tout le monde file la main », autrement dit participe aux repas, à la vaisselle, au nettoyage. Avec un accent particulier mis sur un usage modéré de l’eau : « les douches… 4-5 minutes s’il vous plaît ! Pour les toilettes, on n’utilise pas celles du haut ! » Un cabanon a été construit derrière le bâtiment. De quoi faire réfléchir en cas de besoins nocturnes. Et quand Louisa annonce que cette semaine, il faudra « brasser » les toilettes sèches, on entend un « oh non… », poussé par Noura, mi-soupire, mi-sourire.

Après quelques heures de nuit, vers 4h30, on entend les premiers réveils et l’escalier en bois qui grince sous les pas qui descendent à la cuisine. Corentin est le premier debout. Comme 90 % des élèves de l’enseignement agricole, il est « hors cadre familial » : aucun de ses parents n’est agriculteur. « J’ai toujours voulu faire ça », dit-il en haussant les épaules. Depuis ses 15 ans, il passe ses étés à travailler dans la ferme de ses voisins « pour se faire une expérience ». Il est déjà très informé sur l’environnement rural.

Après un premier en-cas, Emma et Elise se glissent dans des bottes vertes, direction l’écurie, bientôt remplie de 38 vaches de race abondance, dont le lait donnera le fromage éponyme. Nettoyage du trayon, fixation des griffes sur le pis, traite… les deux ados se familiarisent avec la méthode de l’entravée : restreint en place, l’alpage-école ne dispose pas de salle de traite c’est donc le poste de traite qui vient aux bêtes, non l’inverse. Une méthode artisanale. « La difficulté, c’est de les attacher, explique Elise. Elles ne se mettent pas à leur place. C’est la première fois que je fais ça, c’est d’autant plus compliqué. Mais elles sont gentilles vu qu’elles nous connaissent, c’est les mêmes qui viennent au lycée durant l’année. »

De l’autre côté de la cloison, Corentin et Noura turbinent à la fabrication des fromages. Il y en a deux ce matin puisque le lait de la veille, jour de repos, n’a pas encore été transformé. Ils seront bientôt capables d’envoyer à l’affinage trois emblèmes de la Haute-Savoie : abondance, tomme et, depuis cette année, reblochon, dont la ville voisine Thônes est la capitale.

Le savoir est technique et le faire méticuleux: chauffage du lait à 33°C dans les cuves, ajout des ferments pour acidifier, ajout de la presure, relevé du taux d’acidité, décaillage, moulage à la toile, retournement : « vous remettez le fromage dans ta toile, vous l’accompagnez tout le tour du cercle et vous n’enfoncez pas la toile avant de mettre le fromage, sinon cela va faire des plis, cela se retrouvera sur le fromage, c’est moche. Devant vous, vous gardez 10 cm de toile pour la rabattre. On sert un coup le cercle, 1 cm à peu près, et vous allez mettre sous presse. Vous réglez sur 1,8 bar pendant 1h puis vous montez la pression à 2,4 bar… », dirige fermement Pauline, elle-même pressée de partir livrer ses meules d’abondances à un affineur de la vallée et de les laisser gérer la suite comme des pros.

La fromagère, également monitrice diplômée, est une passionnée de la fabrication fermière : « On fait des études où on étudie le lait, comment il peut réagir, etc. Mais en industrie, on le standardise tellement qu’on n’a pas l’occasion d’appliquer toutes ces bases. En fermier, le lait n’est pas le même tous les jours. Réussir à le ressentir, c’est là qu’on reconnait notre vrai métier. À l’alpage, on gère tout de A à Z, de la cuve à l’affinage [pour la tomme, NDLR], même la maintenance matérielle. C’est un job très complet et très plaisant. »

« Je pensais que ce serait plus physique », s’étonne Corentin, qui n’est pas emballé par ce volet du métier, préférant la vie à l’air, le contact avec les animaux et le matériel agricole. « C’est spécial aussi… Il y a l’humidité, la chaleur », le défend Noura, qui elle apprécie d’être au chaud. Fluette, elle retourne non sans peine les meules d’abondance encore gorgées, qui pèsent en moyenne 10 kg en moyenne à sec. Elle nourrit un projet de polyvalence agricole : un peu d’élevage, de transformation, de maraîchage, à l’image du modèle des micro-fermes.

La traite est terminée. Emma et Élise lavent l’écurie – plus modeste que celles d’Augias –, pendant que Louisa raccompagne les « filles » au pré. Un berger, iconiquement représenté avec un béret, un bâton et un chien à la tête d’un troupeau de moutons ou de chèvres, s’occupe de garder le bétail pendant les mois d’estive, souvent en montagne. Fréquemment pourtant, ce sont des femmes – et ce n’est pas l’époque qui veut ça, Jeanne d’Arc en était une.

« Il faut vraiment être passionné pour monter en alpage et moi, j’adore, confie la jeune femme qui achève sa troisième et dernière saison. Mon père est agriculteur mais n’avait pas d’alpage, je l’ai découvert en stage. Donc je trouve cela super que les jeunes aient aussi l’occasion de le découvrir. Vivre et travailler dans ce cadre plutôt qu’en plaine, cela n’a rien à voir, parce que cela nécessite des sacrifices et toute une organisation en plus : au printemps, faut faire des allers-retours pour aller chercher les enfants à l’école, faire les courses, descendre le lait, acheter les sacs de concentrés [ration alimentaire pour les vaches]. Et certains n’ont même pas d’accès 4x4 ! L’alpage, ce n’est pas que la traite, c’est l’entretenir, faire du bois, agrandir les parcs, vivre vraiment au rythme de son troupeau, c’est aussi différent au niveau de la pousse de l’herbe, du rendement… »

L’alpagisme, c’est d’abord se mouler dans les contraintes des lieux, vrais maîtres des horloges.

À lire aussiPortrait sonore: Noémie, 32 ans, la vie chevrière au corps

La sécheresse prend aussi de l’altitude

L’emmontagnée - ou transhumance - consiste à monter les ruminants en alpage pour leur donner un végétal plus frais et plus riche et, pendant ce temps, constituer en plaine des réserves de fourrages pour l’hiver. « C’est un alpage compliqué ici », souffle Louisa Daude, en grimpant à grandes enjambées la pente franchement raide de graminées grasses et boueuses. « Même pour les bêtes : elles n’ont pas de replat dans les parcs et elles s’épuisent. » Au relief s’ajoutent « les coups de chaud et les coups de froids », des écarts de température qui « leur grillent énormément d’énergie » pour adapter leurs corps. « Moins d’énergie, c’est moins de lait, on le voit bien… »

En France, la sécheresse de l’été 2022 a laissé des traces dans les mémoires rurales. Elle n’a pas épargné pas les alpages, les bêtes et l’enherbement : à cette époque, les pentes étaient jaune-marron, et le cheptel avait produit 150 litres de lait en moins, soit presque deux abondances. « Avec le changement climatique, les années ne se ressemblent jamais, les phénomènes sont plus marqués, a observé Morgane Duffy. L’année dernière, cela allait en début de saison et rapidement cela s’est dégradé, il a fait trop chaud et trop sec, l’herbe a grillé. Cette année, ça a été l’inverse : trop humide avec peu de soleil en début de saison, donc une herbe qui a du mal à pousser. Cela impacte nos montées et descentes : on veut que la période en montagne soit la plus grande possible pour faire un maximum de foin en bas. » En 2022, le 23 août signait déjà la fin de l’estive, au lieu de courant septembre habituellement.

En parallèle de son volet pédagogique, l’alpage a donc entrepris plusieurs expérimentations pour adapter les pratiques pastorales à l’évolution du climat. « La deuxième partie de la philosophie de ce lieu, explique Emilie Fontaine, la directrice du lycée agricole, c’est d’arriver à produire des données scientifiques qui vont justifier ou peut-être infirmer des pratiques ancestrales. On a toujours monté les vaches en alpages. Cette tradition s’est un peu perdue à une période plus productiviste, quand les exploitations n’avaient plus ce besoin de monter. Avec la pression foncière dans notre département conjugué au réchauffement climatique, l’alpage revient en force. Donc on fait comme les anciens, mais on se doit de préparer l’avenir. »

Rationaliser l’eau et le pâturage

Première expérience : une gestion au cordeau de la ressource en eau. L’alpage de Sulens est situé en tête de bassin versant (d’où ruisselle l’eau de pluie et de fonte), assez sec, sans rivière, sans lac, et la seule source disponible est partagée avec deux autres exploitations. Une vache boit en moyenne 100 litres d’eau par jour, quantité à multiplier par 40 vaches et par le nombre de jours d’estive. Le nettoyage de la salle de fabrication est l’autre poste très gourmand en eau, difficilement compressible. « Aujourd’hui, l’eau n’est pas un problème critique pour nous. Cette année, le réservoir est plein. Mais l’année dernière, on avait peut-être deux ou trois semaines de marge. Or, il faut par exemple compter une semaine pour préparer la descente des bêtes », explique Émilie Fontaine, la directrice du lycée agricole. Deux réservoirs d’eau, l’un de 200 m3 pour les animaux, l’autre de 133 m3 pour l’usage domestique, ont été installés lors du chantier, « un stockage indispensable en cas de tarissement de la source ».

Par ailleurs, chaque parcelle a été équipée d’un abreuvoir à flotteur permettant de réguler au mieux le débit de l’eau. En plus, des compteurs devraient être installés un peu partout. « L’objectif est de quantifier la ressource disponible et la consommation d’eau pour le quotidien, la transformation fromagère et l’abreuvement des vaches », explique Morgane Duffy. « Et comme tout est lié, on fait également une expérimentation de pâturage sous-bois : il s’agit de comparer la consommation d’eau lorsque les vaches sont dans un pré ouvert, sans ombre, et lorsqu’elles sont sous les arbres. »

Courant dans le sud de la France habitué aux températures caniculaires, mais plutôt pour les élevages ovins et caprins, le pâturage en sous-bois est l’expérimentation-clé lancée à l’alpage cette année, avec l’aide d’experts locaux. Un petit périmètre de bois a été éclairci pour permettre à la lumière de pénétrer et favoriser l’émergence d’un couvert herbacé. En ruminant, à l’ombre, cette nouvelle ressource fourragère plus fraîche (mais moins dense), mais aussi éventuellement des petites plantes ligneuses, c’est un nouveau champ des possibles culinaires qui s’ouvre dans l’assiette des vaches. Elles seront a priori moins assoiffées et produiront plus de lait. Encore faut-il qu’elles acceptent cette nouvelle pitance. Il faudra plusieurs années pour mesurer l’intérêt de cette forme de pâturage, tant sur les économies en eau que sur la qualité et la quantité de lait.

Troisième pratique d’adaptation, le recours au pâturage tournant permet de rationaliser l’herbe broutée. Louisa agrandit progressivement les parcs de pâture pour éviter le gâchis : « Comme elles n’ont qu’un espace limité, elles sont obligées de tout manger et pas uniquement ce qu’elles aiment. » Cela évite aux ligneux et arbustes, moins appréciés, de pousser ici et là. « On fait attention à ne pas tomber dans du surpâturage avec trop de vaches sur un petit espace donné. C’est un équilibre entre bien mangé mais pas trop », précise Morgane Duffy. « L’alpagisme est une des solutions au réchauffement climatique, assure Emilie Fontaine, mais lui-même doit s’adapter plus vite. » Le réchauffement est en effet deux fois plus rapide en plus en montagne qu’en plaine.

Il est 17h sur le sentier des vaches. Élise les ramène au bercail pour la seconde traite. Sont-elles toujours aussi « gentilles » ? « La traite, c’est vraiment différent. Faut faire plus attention à l’animal, les coups de pieds partent vite. » Et pour cause, elle en a reçu un à la tête. Pas rancunière, elle a oublié le nom de l’agresseuse. Ah, l’amour vache !

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